MOKOLO DANS SES RELATIONS
AVEC LE MILIEU RURAL ENVIRONNANT
Dans le nord du Cameroun, les monts Mandara, longs alignements montagneux d’orientation sud-ouest nord-est, s’étendent depuis la Bénoué jusqu’à la plaine de Mora, mordant sur la frontière actuelle du Nigeria, et bordant, à l’est, les plaines du Diamaré.
Ce vaste, ensemble très compartimenté a été le foyer d’un type tout à fait, original de civilisations agraires, nées de conditions naturelles très rigoureuses, et d’une histoire tourmentée. La création et le développement de Mokolo résultent de la volonté politique récente d’un pouvoir extérieur, d’abord foulbé, puis français, enfin camerounais, visant au contrôle de ce pays fermé sur lui-même. Aujourd’hui Mokolo est une ville de plus de 3 480 000 habitants, préfecture du département de Mayo-tsana. Son étude permet de saisir sur le vif comment s’accroît progressivement l’emprise d’un noyau urbain sur un milieu rural environnant. L’intérêt est d’autant plus grand que Mokolo s’est développé en un point privilégié des monts Mandara, au contact des massifs compacts dominant au nord, et du plateau au sud. Mokolo apparaît comme le lieu de passage le plus aisé de toute communication est-ouest, entre les plaines de Maroua et celles de Madagali, et de toute communication nord-sud, entre les plaines de Mora et celles de Gawar. Cette position est d’autant plus favorable que, localement, le site de Mokolo est à la convergence de vallées ouvrant assez profondément les massifs : vers l’ouest, entre Mavoumay et Méfele, en direction du plateau Kapsiki ; vers le nord-ouest, entre Mavoumay et Ldamtsay, en direction de Magoumaz et du pays de Tourou ; vers le nord-est, entre Ldamtsay et Mokolo, en direction des massifs de l’intérieur ; vers l’est, en direction de la vallée de la Tsanaga. Jusqu ’en son site même, Mokolo met en contact les deux grands bassins hydrographiques du nord du Cameroun, puisque la ville est construite sur un affluent du Mayo Louti, affluent de la Bénoué , et sur un affluent de la Tsanaga , qui s’écoule vers le lac Tchad. Mokolo est donc un point de désenclavement important pour les monts Mandara. Mais cette situation originale ne prend sa véritable dimension que par la remarquable diversité humaine du milieu : les massifs du nord sont densément peuplé par les Matakam, ensemble d’ethnies montagnardes et païennes, dont la principale est l’ethnie Mafa ; vers le sud-ouest, sur le plateau, habitent les Kapsiki ; au sud-est, les Mofou ; on trouve aussi des noyaux épars de Foulbé, installés sur le plateau postérieurement aux autres groupes. Au contact d’une dizaine d’ethnies, Mokolo peut donc jouer le rôle de liaison et de foyer d’échanges. Les avantages d’une telle situation nous conduisent à nous interroger sur la nature du développement de la ville, et de ses liens avec le milieu dans lequel elle a grandi. Qu’il s’agisse de son rôle démographique, de son emprise agraire, de sa fonction commerciale, de son attraction sociale, Mokolo ne peut manquer d’être marquée par sa position. C’est au cours de la décennie 1910- 1920 que Hama Yadji., Lamido de Madagali, créa un poste militaire foulbé, plus avancé que ceux de Wanday et de Kossahay, afin de mieux asseoir son autorité sur ces zones d’insécurité, et de protéger la voie de Madagali à Maroua.
La colonisation française, venue tardivement dans ces contrées, fait de Mokolo une base administrative et militaire, servant à la pacification des montagnes. Vers 1930, sont installés un pénitencier, une école, un service de santé et les premiers éléments d’une infrastructure administrative. Le marché, est créé en 1934. En même temps, Mokolo connaît une affluence d’affamés venus des montagnes voisines, pousses vers la ville par des séries de mauvaises récoltes. Puis la ville reçoit un second flot de peuplement issu de Madagali, après l’arrestation par les autorités anglaises de Hama Yadji. Mokolo connaît, ensuite une période de croissance continue, en dépit d’une histoire plus calme. Au noyau foulbé, et aux personnels de l’administration, viennent se joindre des montagnards, de plus en plus nombreux. La paix établie et reconnue, les vieilles haines s’estompent ; le marché attire avec l’espoir des gains possibles ; la vie à la ville semble, à beaucoup, plus agréable ; surtout, il y a la difficulté de plus en plus grande, dans de nombreux massifs, à trouver des terres encore vacantes. Peu à peu, Mokolo s’enracine davantage dans son milieu.
Depuis l’indépendance, l’administration camerounaise cherche à favoriser la descente des montagnards et leur installation, sinon dans la ville même, du moins aux alentours. Par ailleurs, le referendum, concluant au rattachement au Nigeria du Cameroun septentrional ex-britannique, a entraîné un troisième flux de peuplement à partir de Madagali. Le résultat se traduit par une forte croissance récente de la population de la ville
MARCHE DE MOKOLO
Créé en 1934 par une administration qui y voyait un moyen d’ouvrir les montagnes, favorisé par la suppression progressive de bien des marches de brousse, le marché de Mokolo est aujourd’hui très actif et même très attractif. Partout, autour de Mokolo, le mercredi est devenu jour de fête, et c’est une foule dense qui se presse sur les routes et les pistes, de 8h du matin, en fait plus de 7 000 personnes. 93 % d’entre elles viennent d’une zone de 20 km de rayon autour ,de. la ville ; 61 % d’une zone de 10km, dont tous les massifs sont représentés, et dont le quart de population totale se déplace.
Ajoutons même que quatre massifs de cette zone, tous situés à l’est de la ville, constituent presque 40 % du total. Si l‘on peut dire que Mokolo reste un marché d’importance très limité, sur le plan régional, puisque son aire d’influente ne dépasse pas 20 km, en revanche son attraction est considérable, à l’intérieur de cette zone. C’est ce qui marque le mieux l’intégration de la ville dans le milieu environnant.
II nous faut voir maintenant quelques aspects plus particuliers de cette influence. Ainsi avons-nous constaté que la part des femmes et celle des hommes étaient à peu près égales, dans le total de ceux se rendant au marché, avec toutefois des nuances : on constate en effet que plus on s’éloigne de la ville, plus la part des hommes croît, alors qu’à proximité ce sont les femmes qui l’emportent. Mais plus intéressant est le fait que 75 % environ des femmes viennent avec quelque chose à vendre, alors que seulement 55 % des hommes sont dans ce cas. Il semble en fait que l’aspect « fête » du marché attire davantage les hommes que les femmes.
L’attraction commerciale exercée par Mokolo, est à l’origine de courants commerciaux nettement définis et propres à chaque type de produits. Ce courants ne révèlent plus tant le niveau d’entré dans le phénomène du commerce, qu’un découpage original du milieu environnant, selon la nature de la Productions locales. Il ne fait pas de doute que l’espace s’organise, autour de Mokolo, en zone variées, définies chacune par ce qu’elle envoie principalement à la ville.
Sur les 50 productions recensées, nous avons distinguer surtout : le bois, le mil, l’arachide, la patate, les produits de l’élevage, les fruits et légume canne à sucre, les produits de l’artisanat, le haricots. Pour ces principales productions, on peu définir, assez aisément, les points de départ les plus importants. Arrêtons-nous aux principaux.
Le commerce du mil est probablement, celui qui donne lieu aux plus curieux courants. Presque uniquement commercialisé par des habitants de la plaine de Gawar et par des gens habitant au sud de la ville, sur le plateau, le mil est à l’origine d’un courant très original qui, né dans le sud, aboutit Mokolo, point terminal de la plus grande partie, et centre de redistribution d’une faible part qui gagne les montagnes du nord. En l’occurrence, Mokolo joue ici pleinement son rôle de point de contact.
Une autre grande production locale, arachide, donne lieu à un autre type de courant : en effet, en dehors de la campagne officielle, dont nous reparlerons, on observe, toute l’année, un mouvement d’approvisionnement de la ville, à partir des massifs de bordure ; l’arachide, achetée presque toujours par les femmes foulbé, est transformée en huile ; celle-ci est bien souvent vendue, après coup, aux montagnards qui ont vendu les arachides. C’est là un exemple frappant des rapports que la fonction commerciale fait naître entre la ville et le milieu environnant : la ville reçoit la matière brute et vend le produit transformé. Quant à la patate, plante du plateau par excellence, elle provient essentiellement des communautés périphériques de la ville, et alimente un courant particulier d’approvisionnement des marches desplaines de Mora et même du Diamaré, Mokolo servant ici de lieu de regroupement et d’expédition. Plus significatif du rôle de Mokolo est le développement de plus en plus grand des échanges portant sur les fruits, les légumes et la canne à sucre : la naissance et la croissance d’un centre urbain, offrant de bons débouchés, ont été à l’origine de la mise en culture des fonds humides du plateau, autour de la ville, principalement à l’est. C’est là où l’on voit le mieux quelles transformations du milieu environnant peut entraîner Existence d’un besoin nouveau, propre à la consommation urbaine.
Mais ces .transformations ne semblent possibles que dans un milieu favorable et encore riche d’espaces libres. Jusqu’à présent, nous avons noté l’absence presque totale des productions originaires des montagnes. Il faut ,en arriver au petit bétail, au bois, à l’eau, pour trouver des sources d’échanges importants entre les massifs et la ville. Et encore devons-nous souligner que, dans deux cas, il s’agit seulement de l’exploitation de richesses naturelles. Le commerce de au est florissant toute la saison sèche, époque où la ville en est totalement privée ; quant au bois, il représente le premier commerce de Mokolo, par le nombre de gens qui le pratiquent. Le petit bétail sert à l’alimentation de la ville et donne lieu également de petits échanges entre un vendeur qui a besoin d’argent et n’a rien d’autre à vendre, et un acheteur qui veut seulement agrandir son troupeau Finalement le grand problème’ des montagnards est qu’ils n’ont rien à vendre ou presque ; ils se tournent vers des productions naturelles qui leur échappent ou ne leur coûtent guère, mais dont la ville ne peut se passer.
Une autre de leurs activités, l’artisanat, leur procure des ressources, par la vente de poteries, ou agricoles; Mokoko sert alors un peu de grande foire où le choix devient possible entre plusieurs pièces. Mais dans te commerce des pro- duits de l’artisanat, la concurrence des habitants du plateau est grande, surtout pour des spécialités, tels les « lits de Zamay ».. Il existe encore bien d’autres courants drainant vers Mokolo tout ce qui peut être vendu, mais leur importance est moindre.
Il demeure très largement un marché local, permettant l’alimentation de la ville et des échanges entre massifs éloignés tout au plus d’une quarantaine de kilomètres. Dans la majorité des cas, nous avons affaire tout simplement au plus rudimentaire des actes commerciaux, mettant en présence producteurs et consommateurs, sans qu’il y ait le moindre intermédiaire. Certes, pour tel ou tel produit, comme la patate, les fruits et légumes, Mokolo n’est pas le point final du circuit, celui-ci se poursuivant jusque dans les grandes villes du nord du Cameroun ; mais cette introduction de courants d’ampleur régionale est encore peu sensible. Par ailleurs, il faut insister sur la faiblesse des quantités vendues par chaque producteur ; en dehors du mil qui, dans bien des cas, est apporté en assez grosses quantités, pour tous les autres produits, la part commerciable est, en fait peu importante. Le volume des produits commercialisés tient davantage au nombre des vendeurs qu’à ce qu’ils ont à vendre.
Troisième point, les gains réalisés par les ventes sont presque aussitôt dépensés par des achats d’objets, tissus, aliments, dont le commerce est, cette fois, l’œuvre de professionnels et non plus de producteurs. Il est clair que la ville joue là un rôle, particulièrement important, vis-à-vis de son milieu rural : elle lui procure des biens de consommation nouveaux et attrayants, en échange de ses richesses commerciales. Un dernier point et non des moindres, est le rôle social que remplit le marché. Un des objectifs de la création du marché de Mokolo est aujourd’hui atteint : en faire un lieu de rencontres, d’échanges où les ethnies voisines de la ville peuvent apprendre à se connaître. Finalement, et c’est certainement le point primordial, aujourd’hui, la ville est devenue indispensable au milieu rural environnant : l’intégration de la ville est un fait acquis, sur le plan économique.
La fonction commerciale de la ville ne se limite pas au marché hebdomadaire ; Mokolo dispose d’une population de commerçants professionnels, qui joue un rôle positif dans son pouvoir attractif. Outre ceux qui se déclarent officiellement commerçants, presque tousses habitants font un peu de commerce : c’est bien là un des piliers de la vie urbaine. Observons d’une part en quoi cette fonction commerciale permanente influence les rapports entre Mokolo et son milieu, et d’autre part comment elle introduit Mokolo dans des circuits d’importance régionale, voire internationale. Pour éclairer la situation, Voyons d’abord les commerces, liés directement à l’alimentation, qui se situent dans la suite logique des échanges opérés au marché, mais dont les mécanismes sont différents.
Pour la plupart des productions commercialisées au marché, nous avons insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un commerce rudimentaire, d’ampleur locale. Ici nous voulons parler de trois commerces qui font entrer Mokolo et son milieu environnant dans des circuits véritablement commerciaux, avec intermédiaires et rapports interrégionaux ; ceux de la boucherie, du poisson séché, et la campagne arachidière. Voyons d’abord la boucherie. Précisons qu’il existe à Mokolo, une consommation de viande régulière et importante : environ 60 % des consommateurs semblent être des gens habitant la ville. Ceci tendrait à prouver que la vitalité de la boucherie tient aux possibilités financières de fonctionnaires et des gros commerçants, en même temps qu’aux habitudes propres aux ethnies musulmanes, s’il n’y avait ces 40 % de consommateurs originaires des massifs périphériques de Mokolo et de la plaine de Gawar, signe d’une évolution des habitudes rurales.
Cette demande soutenue de viande est à l’origine de deux courants commerciaux tout à fait distincts. Tout d’abord une grande partie des bovins abattus provient de l’élevage local, c’est-à-dire des troupeaux relativement importants qui paissent sur Le plateau, principalement vers l’ouest de Mokolo, sur les franges du plateau kapsiki. Mais à ce niveau, le déplacement reste minime et les mécanismes très rudimentaires.
L’essentiel de la population commerçante de la ville vend des objets manufacturés, qu’il s’agisse de tous les objets utiles à la vie quotidienne (lampes de Poche, cadenas, plats en émail, piles, savon...), ou de tissus, vêtements et chaussures, ou bien encore de produits (parfums, verroterie...). Nous sommes là en présence de l’intrusion du modernisme occidental au cœur d’une société traditionnelle, au point terminal d’une longue chaîne commerciale de ‘dimension internationale. Mais ce qui nous intéresse, c’est de connaître les courants régionaux passant par Mokolo. Or Mokolo dépend, pour son approvisionnement en produits manufacturés, de deux centres principaux. Le premier, et de loin, est Maroua : tous les commerçants s’y rendent, à intervalle assez régulier. Le second est le Nigeria, plus particulièrement ses marchés frontaliers : non seulement la moitié environ des commerçants vont également s’y approvisionner, mais encore un très important trafic contrebandier y trouve son origine, alimentant secrètement bien des commerces de la ville. A ces deux origines, s’ajoute, mais secondairement, Garoua. Mokolo dépend donc absolument de l’extérieur, et cette dépendance est encore plus grande qu’il n’y paraît, quand on sait que bien des commerçants de la ville ne font, en fait, que travailler pour quelques gros commerçants de Maroua ou de Garoua.
Djingliya coopérative artisanale
La coopérative artisanale de DJINGLIYA est située à 15 Km de Mokolo et à 3 Km de Koza sur la route de Mokolo-Mora. Elle a été créée en 1974 par Franz POLMAN un Hollandais en collaboration avec la Mission catholique de DJINGLIYA. Dès sa création, son objectif a été d'associer les artisans pour leur apprendre à travailler ensemble et les aider à avoir un peu d'argent en vendant des objets d'art faits sur place.


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